Le 04/10/2025 en France (Récap situation géopolitique de l'Arménie)
C'est enfin le grand départ ! Déjà depuis quelques semaines, déjà depuis quelques mois, je m'imagine là-bas, en terre arménienne. Plus le temps passe, plus la mission se rapproche, plus mon envie et mon investissement s’accroissent. Autant vous dire qu'il me faut vivre cette mission au maximum, sinon j'aurais l'impression d'avoir manqué à mon engagement. Je me suis renseigné sur l'état géopolitique, la géographie et l'histoire de l'Arménie en amont de la mission, afin de ne pas être trop perdu.
L’Arménie est aujourd’hui confrontée à une pression constante de la part de l’Azerbaïdjan. En raison de sa position géographique, elle constitue un verrou naturel entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, empêchant l’établissement d’un corridor territorial continu entre les deux pays. Ce projet, soutenu par Ankara et Bakou, s’inscrit dans une vision panturquiste visant à relier les peuples turciques par voie terrestre, notamment via la région autonome du Nakhitchevan. L’Arménie, coincée entre ces deux puissances régionales hostiles, se trouve ainsi dans une situation de vulnérabilité stratégique permanente.
Après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’Arménie a obtenu son indépendance et s’est retrouvée rapidement impliquée dans un conflit armé avec l’Azerbaïdjan autour du Haut-Karabakh. Cette enclave majoritairement peuplée d’Arméniens, mais rattachée à l’Azerbaïdjan à l’époque soviétique, a été le théâtre d'une guerre sanglante de 1988 à 1994. À l’issue de cette première guerre, les forces arméniennes ont pris le contrôle du Haut-Karabakh ainsi que de plusieurs districts azéris environnants. Un cessez-le-feu a été signé en 1994, laissant l’Arménie militairement en position de force, mais sans solution politique durable. Les tensions n’ont jamais cessé, aboutissant à une reprise majeure du conflit en 2020, soldée cette fois par une victoire militaire de l’Azerbaïdjan.
Entre-temps, l’Arménie n’a pas su tirer parti de sa position pour se renforcer sur les plans démographique, économique et militaire. L’exode de sa population, combiné à une baisse significative du taux de natalité (passé de 2,64 enfants par femme en 1991 à seulement 1,34 en 2000 - source), a contribué à un déclin démographique notable. Sa population est passée d’environ 3,6 millions d’habitants en 1991 à environ 3 millions aujourd’hui. À l’inverse, l’Azerbaïdjan a connu une croissance démographique soutenue, passant de 7,6 à plus de 10 millions d’habitants, soit une hausse d’environ 40 % en trois décennies.
Sur le plan économique, l’Azerbaïdjan a largement bénéficié de ses ressources énergétiques. L’exportation de pétrole et de gaz lui a permis de connaître des taux de croissance du PIB atteignant 20 à 30 % certaines années, notamment dans les années 2000. L’Arménie, quant à elle, dispose de peu de ressources naturelles. Son économie repose principalement sur l’extraction minière, la transformation de métaux précieux, l’agriculture et un secteur technologique en développement, mais encore limité. L’absence d’accès direct à la mer et la fermeture de ses frontières avec la Turquie et l’Azerbaïdjan limitent fortement ses capacités commerciales, notamment avec l’Europe.
Son principal partenaire régional reste l’Iran, avec lequel elle partage une frontière d’environ 44 kilomètres. Cette ouverture est vitale pour l’économie arménienne. C’est notamment par la route de Meghri, un axe stratégique traversant le sud du pays, que transitent les échanges commerciaux entre l’Arménie et l’Iran. Cette route joue le rôle d’artère économique essentielle pour un pays enclavé et sous pression constante.
Depuis le dernier conflit en 2022, qui a laissé l'Artsakh (nom arménien du Haut-Karabagh) aux mains des Azerbaïdjanais, la Russie (leur protecteur historique) a montré une grande mollesse dans les engagements territoriaux qu’elle avait promis à l’égard de l'Arménie, laissant ainsi le pays dans une faiblesse de ses frontières encore plus extrême. Des exactions, des déportations (100 000 Arméniens) et un blocus ont été érigés au niveau du corridor de Latchine, qui permettait l'acheminement de vivres et de médicaments de l'Arménie vers le Haut-Karabagh.
Suite aux nombreux cessez-le-feu présidé par Moscou et les États-Unis, qui sont intervenus comme médiateurs en faveur de l'Arménie, les pertes sont lourdes aussi bien sur le plan humain que suis le plan matériel. En effet le patrimoine historique, tout ce qui évoquerait ne serait-ce qu'un peu à une culture Arménienne est décimée, dans une volonté de revendiquer historiquement les téritoires Arméniens comme ayant toujours appartenu à l'Azerbaïjan. Du côté de l'Union Européenne, pour des questions économiques (étant donné que l'Europe a coupé les robinets de gaz et de pétrole avec la Russie suite à son entrée en guerre avec l'Ukraine) celle-ci blanchit son gaz et son pétrole par l'intermédiaire de l'Azerbaïdjan, qui est aujourd'hui devenu son remplaçant sur ce point. Ainsi, de multiples compromis européens et nationaux sont passés en échange d'un silence sur les massacres et sur la politique turco-nationaliste de l'Azerbaïdjan, afin que l'Europe puisse continuer de bénéficier du gaz et du pétrole.
« Car Von der Leyen est sous le feu des critiques depuis l’opération militaire
éclair de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, qui a conduit à l’exode plus de 100 000
Arméniens. En juillet 2022, elle s’était rendue à Bakou pour conclure un accord
avec l’Azerbaïdjan visant à doubler « en quelques années » les importations
européennes de gaz depuis ce pays du Caucase. Elle avait alors qualifié l’Azerbaïdjan
de "partenaire fiable" , fermant les yeux au passage sur les accusations qui visaient
déjà le régime d’Ilham Aliev, accusé aujourd’hui de mener rien moins qu’une épuration ethnique. »
Extrait du journal Marianne publié le
Le 08/10/2025 à Yerevan
Enfin arrivé en Arménie ! Quelques problèmes de billets m’ont fait manquer mon premier vol pour Vienne, mais avec l’aide des responsables des volontaires, j’ai pu prendre le vol suivant avec la même correspondance à Vienne. Un peu de stress à chaque fois que je passais une borne, me demandant si j’avais toutes les autorisations pour passer : entre le poids de la valise, la validité du séjour en Arménie (car supérieur à 180 jours et nécessitant un visa)… Après avoir passé tout cela, j’arrive enfin à l’aéroport de Yerevan vers 3h55, heure locale (+2h par rapport à la France). Je passe la frontière, récupère ma valise et attends qu’un responsable de SOS Chrétiens d’Orient vienne m’accueillir. Finalement, c’est Sakis, un Arménien de 26 ans, qui vient me chercher avec un nouveau salarié de l’association.
On monte dans la voiture et nous nous dirigeons vers les locaux de l’association. La discussion se fait en anglais ; n’étant pas le meilleur, je me surprends à avoir une conversation plutôt claire. Il me dit que nous sommes six volontaires, et me parle inévitablement de Charles Aznavour (je m’y attendais). En effet, il est un héros national pour l’Arménie, notamment parce qu’après le séisme de 1988 (qui fit environ 25 000 à 30 000 morts à Spitak), à sa propre initiative et avec le collectif pour l’Arménie, il a produit une chanson, « Pour toi Arménie » (vidéo à la fin), qui permit de récolter des fonds pour la reconstruction, mais aussi pour prendre en charge les orphelins et les blessés.
Nous abordons quelques autres sujets, il me montre l’ambassade française, la municipalité de Yerevan. J’observe à travers la fenêtre de la voiture l’architecture de la ville. J’ai été surpris de voir que les rues sont plus larges qu’à Paris. Je perçois dans l’obscurité de la nuit une succession hétérogène d’hôtels, de bars, de maisons et de terrains non construits. Les bâtiments sont très bruts : béton gris.
Nous commençons à nous éloigner de l’axe principal pour nous enfoncer dans des ruelles très étroites et pentues. Il faut dire que l’Arménie est géographiquement située sur un plateau montagneux, avec des monts qui culminent entre 3 000 et 4 000 m (le mont Aragats culmine à 4 090 m). Ils me déposent puis repartent. Je suis accueilli par les deux futurs chefs d’antenne, Adrien et Rémi, des antennes respectives de Vardenis, situé à l’est du lac de Sevan, et de Goris, au sud de l’Arménie dans la région du Syunik.
Je goûte dès mon arrivée une spécialité arménienne appelée le « lavash », qui est une sorte de feuille de pain sans trop de goût, mais bon, je suis content d’arriver et de faire leur connaissance, alors j’en mange un peu avec du beurre (pas demi-sel, aïe !). Adrien me fait visiter le premier étage, avec la salle à manger qui comporte en son centre une grande table en bois, et quelques canapés sur les côtés, ainsi que la cuisine, longue, avec un frigo d’environ 1,5 m de large. Enfin, à l’issue de ce petit tour, je m’installe et m’endors, réveillé pour la formation par Sakis à 12h !
Le 09/10/2025 à Yerevan
Le temps passe vite ici ! Je m’éclate comme un fou avec une équipe de volontaires exceptionnelle, et mon intégration s’est faite super rapidement (sûrement grâce à la tranche d'âge 20/25 ans, même si Denis a 70 ans). Après la formation donnée par Sako le 8, je pars avec Adrien rejoindre deux volontaires français qui accompagnent le père Athanase, un prêtre arménien chargé de la seule église catholique romaine de Yerevan (les autres étant apostoliques arméniennes).
Nous grimpons quelques centaines de mètres jusqu’à l’église, où se trouvent aussi les sœurs missionnaires de la charité. Leur bâtiment, construit en 2002, accueille des enfants orphelins et handicapés. Ce centre vient en complément de celui de Spitak, au nord, près de Gyumri. Après le séisme de 1988, Mère Teresa avait visité la région et fait construire le premier centre, qui accueillait alors tous les âges. Aujourd’hui, Spitak s’occupe des adultes, tandis que celui-ci, à Yerevan, accueille les enfants.
Ils sont 21 enfants ici, et seulement un peut marcher : Raphaël, à qui il manque un œil. Malgré la taille réduite du lieu, qui pourrait faire penser à un enclos, les enfants et les sœurs rayonnent de sourires et de bienveillance.
Côté mission, nous avons déraciné un noisetier et quelques racines dans une parcelle du jardin, pour permettre la plantation de fleurs. La terre est dure et sèche, typique du climat aride arménien, avec peu de verdure. Mais nous avons finalement réussi notre mission… malgré une pelle cassée (c’est moi qui l’ai cassée)
La première journée s’achève, mais la suivante démarre sur les chapeaux de roue. Après la prière du matin, Denis et moi nous rendons à la maison du père Athanase pour quelques travaux de bricolage. Là-bas, Jean-Cassien et Sacha, les deux autres volontaires du père Athanase, me confient la tâche de poncer une vieille table, ce que je fais toute la matinée. Lors d'une pause me dirigeant vers la cuisine pour chercher un ciseau, je tombe sur une porte où est inscrit « sacristie ». Je ne comprends pas tout de suite, mais je me dis que le prêtre y range son matériel liturgique. Puis, en repassant par le salon, je remarque un rideau et des chaises empilées. Curieux, je pousse le rideau… et bingo ! Un autel avec un tabernacle apparaît. Avec la confirmation de Sacha, je comprends alors que la maison du père Athanase est en fait l’église de Yerevan !
Après ce travail, nous rentrons manger. Juste après, je pars avec Nonna, une salariée de SOS Chrétiens d’Orient, au centre-ville pour acheter une carte SIM et retirer de l’argent. Je choisis un forfait à 2 500 AMD (environ 5,54 €) par mois : 1 000 minutes d’appels, 20 Go, mais sans accès à YouTube. Le retrait d’argent se fait aussi facilement qu’en France.
En attendant le taxi pour rentrer, j’observe les habitants de Yerevan et note une vraie contradiction avec les normes arméniennes traditionnelles. Ici, hommes et femmes portent uniquement des pantalons (pas de shorts ni de jupes) et il n’y a pas de contact comme la bise avec les femmes. Pourtant, dans la rue, tout cela est bousculé : les gens arborent des tenues très occidentales, des écouteurs aux oreilles, comme en Europe.
Le contraste est saisissant entre les bâtiments encore neufs, les routes bien construites (mais avec une signalétique parfois catastrophique) et la conduite locale, où les taxis ne respectent ni les clignotants, ni la ceinture, et doublent souvent par la droite !
L’après-midi, retour chez les sœurs pour poncer des fenêtres. À la pause, les sœurs réunissent les enfants pour fêter les 5 ans de la petite Mya. Une pause festive, avec un gâteau délicieux, qui donne un petit air de fête dans ce quotidien déjà bien chargé.
Voilà un bref résumé de ce que j’ai fait jusqu’à présent. N’ayant pas eu beaucoup de temps, je vais essayer de me caler un rendez-vous quotidien pour vous partager les anecdotes fraîches de la journée — parce qu’il y a vraiment beaucoup à raconter ! Pour me laisser le temps de récolter de la matière et de profiter pleinement de la mission, je publierai le prochain article le 26/10/2025.
D’ici là, que Dieu vous garde !